Parmi les céramiques destinées au Cha-no-yu  certaines me touchent particulièrement. Ce sont les rakus noirs « kuro raku » crées à la fin du 16 ème siècle, en synergie, par Chôjiro, potier et Sen no Rikyû, maitre de Thé et maitre zen*.

 

Il y a plus de quinze ans, j’ai reçu un « choc » dont à ce jour je ressens encore les vibrations : c’était en ouvrant un petit ouvrage consacré aux plus célèbres bols à thé du Japon. De la représentation photographique des rakus noirs attribués à Chôjiro se dégageait une force naturelle paisible et puissante qui devait modifier le cours de mon existence.

Quelques années plus tard, lors de deux voyages au Japon, la rencontre directe avec ces bols  n’a fait que renforcer cette impression première.

Depuis ce choc, je n’ai cessé de parcourir cet itinéraire :

récoltes et préparations des argiles et minerais, modelage des bols, cuisson au bois et charbon de bois.

En me hâtant lentement, je chemine de l’environnement dit « naturel » où je prélève à la source les premières matières (qui par une patiente et attentive préparation deviendront matières premières) jusqu’ à leur transformation par le feu.

La construction des fours à bois et charbon de bois tout en argile, façonnés comme de grandes jarres m’a paru tout aussi nécessaire. Pour le four à charbon de bois, l’air pulsé à l’aide d’un soufflet manuel  répond à l’exigence de donner toute mon énergie à la création de ces  « êtres céramiques ».

Parallèlement, la pratique régulière du Cha-no-yu et son partage avec des amis et visiteurs, chez nous au fonds des bois de Dordogne, me permet d’approfondir l’usage et la connaissance de ces bols noirs. Dans la pénombre de la chambre de thé se renforce une impression qui s’impose avec toujours plus de force :

le Raku noir  a été inventé pour vivre une expérience à la fois corporelle et spirituelle : se retrouver avec soi-même et d’autres pour partager le Thé dans un état de concentration tranquille et gouter la nature originelle de la Vie. Une fois abandonnées les fantasmagories de l’ego, le calme lumineux de l’esprit retrouvé, tous les sens paisiblement en éveil, nous sommes au cœur de l’instant présent.

 

La forme irrégulière et la texture douce d’un authentique raku noir rappelle les rochers humides des torrents de montagne ou la dense présence des météorites. L’ombre du « dedans » et le sombre du « dehors » s’unissent par le cercle légèrement plus lumineux de la lèvre. Dans ces « noirs mêlés » se côtoient matité, satiné et brillance,  harmonieusement présents. Ils incarnent et rappellent la présence du vide d’où surgissent les dix mille phénomènes. Ces bols remplis de discrétion  et de réserve, sont propices à la méditation et à la contemplation.

 

De leur noirceur fertile s’écoule la tonifiante et vivifiante verdeur du Thé.

 

*Ikkyu, maitre et ami spirituel qui influença Murata Shukô dans la création d’un Thé simple et dépouillé, disait : « Zen et Thé, même saveur ».

 

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