L’Univers dans un bol



 

Ce matin, avec Laetitia, nous partageons le thé. Nos mains entourent le bol tiède. Cette céramique d’apparence rustique est recouverte d’une  glaçure noire. Des volutes de vapeurs s’élèvent au dessus du thé vert et moussu.

 

 

 

 

 

 

 

       

En prenant ce bol à thé dans vos mains, en le regardant avec vos yeux de poète, vous y verrez clairement un nuage flotter au dessus d’une montagne.

 

 

 

 

 

 

 

       

Regardez plus attentivement au fond du bol. Vous verrez le nuage devenir pluie, la pluie devenir torrent. Vous verrez le vent, le gel, petit à petit éroder la montagne. En contrebas, dans la vallée, vous verrez naître l’argile. Sans nuage et sans montagne, le bol n’existerait pas. Le nuage et la montagne sont essentiels au bol.

 

 

 

 

 

 

 

       

Maintenant que vos yeux se sont habitués à regarder au creux du bol, vous voyez aussi le soleil. Sans soleil les arbres ne poussent pas : il leur faut nuages et soleil. Et, sans arbres il n’y aurait pas de feu et donc pas de cuisson de bol. Alors, nous comprenons que le soleil et l’arbre sont dans le bol et qu’ils lui sont essentiels.

 

 

 

 

 

 

 

       

Pénétrez plus encore à l’intérieur du bol. Vous y voyez le potier assis en méditation à la rencontre de son visage originel. Vous le voyez couper le bois pour la cuisson. Vous le voyez récolter, préparer, façonner l’argile. A présent, il broie pierres et  pigments et cuit le bol. Vous y voyez aussi les châtaignes, les champignons, le potager et le blé. Car le potier ne peut vivre sans les fruits de la Nature. Châtaignes, champignons, poireaux et tomates sont aussi dans le bol.

 

 

 

 

 

 

 

Le père et la mère du potier sont aussi dans le bol.

 

 

 

 

 

      

En considérant les choses de cette manière, nous prenons conscience que sans tous ces êtres, le bol ne peut exister.

 

 

 

 

 

 

 

       

Si vous regardez encore plus profondément, vous y voyez la Voie Lactée et toutes les galaxies, car sans elles le soleil n’existerait pas. Tout est contenu dans ce bol : l’Espace, le Temps, les galaxies, le Soleil, la Terre, le nuage, le torrent, la montagne, l’argile…Et vous voyez que vous êtes aussi dans le bol. En le regardant, en le touchant, en le portant à vos lèvres, le bol fait partie de vos perceptions.

 

 

 

 

 

 

 

       

Votre esprit et le mien sont ici dans ce bol.

 

 

 

 

 

 

 

  

En fait, ce bol coexiste en interdépendance avec tous les phénomènes.

 

 

 

 

 

 

 

 

       

Imaginez maintenant que nous retournions chaque être à sa source. L’argile à la montagne : pensez-vous que ce bol puisse exister ? Non, sans argile pas de bol pour boire le thé. Si nous retournions le potier à ses parents, nous n’aurions pas ce bol non plus. Si nous retournions le Soleil à la naissance de la Voie lactée, ce bol existerait encore moins.

 

 

 

 

 

 

 

       

Sans les galaxies, sans le soleil, sans la montagne, sans le nuage, sans le torrent, sans l’argile, sans le potier, sans l’esprit, ce bol n’existerait pas.

 

 

 

 

 

 

 

       

En fait ce bol est constitué d’éléments « non bol » et si nous retournions tous ces éléments « non bol » à leur source, il n’y aurait pas de bol du tout.

 

 

 

 

 

 

 

       

Après avoir bu le thé, avant de reposer le bol, notre regard se perd à l’intérieur et scrute le noir de la glaçure. Ce noir  est si intense qu’il en devient immatériel. Il s’ouvre sur un vide insondable et fertile d’où peuvent naître toutes les réalités.

 

texte inspiré par Thich Nhat Hanh, maitre zen.

Photographies Jérémie Logeay

  

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